Prendre sa place

Peut-être le vivez-vous de temps à autre, voire régulièrement, cet instant où nous n'osons pas. Nous n’osons pas prendre la parole, nous n’osons pas demander une augmentation de salaire que nous pensons pourtant bien mériter, nous nous retenons de rappeler à notre conjoint.e qu’il.elle a tort car une autre décision a été prise, enfin nous n’osons pas dire à la personne qui vient de se glisser dans la file devant nous d’aller faire la queue comme tout le monde.

Souvent, nous nous disons que ce n’est pas grave, que tout ce que nous aurions pu dire aurait pu déclencher des tensions, voire un conflit, que nous avons préféré éviter. Et que finalement, « se la coincer » et certainement bien plus profitable pour tout le monde.

Vraiment ?

Car si nous sommes très honnêtes avec nous-mêmes nous savons qu’il n’en est rien. En regardant bien au fond de nous, nous prenons conscience d’une forme de frustration voire d’une perte d’estime de soi qui peut s’accompagner d’un sentiment d’invisibilité et/ou d’inutilité. Il est vrai qu’à force, les autres peuvent finir par ne plus nous voir, ne même plus envisager que nous pourrions avoir un avis à partager sur une question et que, lorsque nous tentons d’en donner un, personne n’en tient compte.

Il peut s’en suivre un ressentiment de plus en plus important, des tensions internes croissantes pouvant engendrer du stress , de l’épuisement ou alors se traduire par un débordement émotionnel tel que nous pouvons exploser de rage, prendre des décisions brutales pouvant aller jusqu’à la rupture soudaine et irrévocable.

Nous pouvons ruminer tout ce que nous voulons, penser que ce sont les autres qui sont tout à fait stupides de ne pas savoir reconnaitre notre valeur, nous savons qu’en vérité il n’en est rien. Si les autres ne nous voient pas, s’ils nous marchent dessus (parfois sans même s’en rendre compte) c’est tout simplement parce que nous n’avons pas pris la place qui est la nôtre.

Alors comment faire ? Comment faire surtout lorsque nous avons reçu une éducation (surtout les femmes) qui nous pousse à nous faire passer au second plan, à garder profil bas, à rester modeste car de toute manière nous n’avons ni la formation ni l’expérience qui pourraient justifier que nous soyons à même d’émettre un avis pertinent sur une question pointue ? Et, lorsque nous nous rappelons avoir tenté de nous exprimer haut et clair, nous avons ressenti un sentiment de honte de nous être ainsi montré.es en spectacle. Notre malaise était si grand que nous nous sommes promis de ne jamais recommencer.

Rien ne se fait de façon immédiate. Tout comme il nous faudra assidûment fréquenter une salle de sport pour développer une bonne musculature, bouger beaucoup pour avoir un corps tonique et courir régulièrement pour avoir un bon cardio, s’affirmer pour prendre sa place demande un entrainement répété.

Prendre sa place ne veut pas dire prendre la place d’un autre, cela ne veut pas dire s’imposer en force ou par la violence. Prendre sa place c’est s’affirmer sans écraser.

S’affirmer avec calme et clarté dans la manière de nous exprimer, sans agressivité. En prenant une attitude corporelle, un langage non verbal qui manifeste notre présence au monde. Un regard direct plutôt qu’un œil qui se dérobe, le dos redressé plutôt que vouté.

S’affirmer avec calme et clarté c’est aussi savoir écouter les autres sans parler fort, interrompre ou dénigrer les propos tenus. C’est montrer que l’on sait prendre en compte les avis des autres sans pour autant les adopter.

S’affirmer avec calme et clarté, c’est aussi se montrer ferme sans pour autant tomber dans la rigidité. Ce n’est pas être autoritaire ni chercher à en imposer. C’est poser des limites claires et agir en fonction.

Prendre sa place consiste donc à trouver un équilibre qui demande tout à la fois de la clarté intérieure, de l’assurance (et donc d'avoir la conscience de sa propre valeur) et de l’écoute. Des compétences à travailler tous les jours pour les voir grandir et pouvoir prendre enfin la place qui nous revient.